"La longue épreuve initiatique imposée aux jeunes scientifiques est absurde et cruelle. Elle consiste à passer de la maîtrise au doctorat, du doctorat au post-doc, et à découvrir par soi-même la réalité de la science qui se fait, comme on découvrait autrefois le sexe, dans l'horreur de la nuit de noce non-préparée! Mais pour la science, c'est encore pire, car on met longtemps à comprendre! Et beaucoup de jeunes scientifiques vivent cela très mal, je l'ai dit, comme une déchéance. "La science n'est pas ce que vous aviez dit, c'est horrible, c'est de la cuisine, il faut publier, tenir compte de l'ordre des citations, avoir des patrons qui signent parfois à votre place, il faut avoir de l'argent". Le plus étonnant, c'est que durant tout leur parcours de formation, jamais personne ne leur aura parlé de cela."
Bruno Latour, Le métier de chercheur, regard d'un anthropologue. Paris, INRA, 2001 (2ème éd.), p. 93.
Le petit ouvrage sur "le métier de chercheur", d'où est extraite la citation, constitue une belle introduction à l’œuvre de Bruno Latour. Cet auteur est extrêmement important pour comprendre, non seulement les sciences (dures ou souples) et la manière dont elles se forment, mais aussi n'importe quel champ disciplinaire, comme la muséologie ou la médiation culturelle. Ses réflexions sont toniques, pour préparer tout jeune chercheur à réfléchir aux stratégies qu'il devra déployer dans ce monde impitoyable. Il est vrai qu'on parle rarement, à un étudiant en maîtrise ou en doctorat, de ce qu'il attend dans le monde de la recherche, ce dernier n'ayant parfois rien à envier avec les versions les plus dures du capitalisme...
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